Abderrahmane Zenati: DES MOTS A LA PLACE DU PAIN
DES MOTS A LA PLACE DU PAIN
extrait
C’était dans un bar à fille dans la rue Tafna à Oujda que j’ai vu l’accordéoniste juif Félix Bardkhaï pour la première fois. C’était une soirée chaude, l’air sentait le tabac, l’anisette noyée d’eau et l’huile rance des brochettes. Chaque soir des soldats français et américains se retrouvaient dans ce bar dirigé par madame Esther une grosse femme juive aux traits bouffis.
J'avais 10 ans. Pieds nus, vêtements usés, assis à même le sol en position de tailleur, je faisais briller les brodequins d’un soldat américain, un colosse blond au visage taché de rousseur et aux yeux bleus et durs.
J’étais tout minuscule aux pieds de cet homme qui discutait avec ses camarades...Les uns étaient assis autours d'une table et les autres debout devant le comptoir.
Dans un coin, des zouaves français un peu ivres chantaient à haute voix :
"C'est nous les Africains
Qui revenons de loin"
A force d'avoir entendu cette marche militaire chantée je l'avais apprise par coeur sans comprendre le sens des mots.
Tout en astiquant les bottes du soldat, j'entendais la voix chaude de Dalida:
« Je sais bien que tu l'adores
Et qu'elle a de jolies yeux »
Bambino était la chanson tube à l’époque. Je l’entendais dans tous les bars que je fréquentais et elle était fredonnait par tous les jeunes français et juifs de l'époque. A force de l’avoir écouter partout, j'ai fini par l'apprendre par cœur aussi.
Aujourdhui, à lâge de 68 ans, l'air et les paroles me reviennent et je la fredonne en me rasant et en prenant mon bain:
« Et gratte, gratte sur ta mandoline mon petit Bambino
Ta musique est plus jolie
que tout le ciel de l'Italie»
Il faut dire que Dalida, avec ses chansons et sa voix était pour moi une vraie déesse...
Je m'apretais à finir ma besogne pour quitté le bar d'Esther pour rejoindre bar Femina lorsque soudain une forte sonorité de l'accordéon a forte voix triste couvrirent la mélodie de ma chanteuse préférée.
« Verte campagne
Où je suis né
Douce compagne
De mes jeunes années »
Des soldats cessèrent spontanément leurs bavardages et écoutèrent l’accordéoniste avec intérêt.
« La ville pleure
Et ces larmes de pluie
Dansent et meurent
Sur mon cœur qui s'ennuie
Et moi, je rêve de toi, Pays ! … »
Stoppant net mon travail, ma main, avec sa brosse, est restée suspendue en l’air.
Bouche ouverte, je contemplais les doigts de cet accordéoniste courir sur les touches de son instrument. J’avais du mal à les prendre pour des morceaux de chair tellement ils étaient rapides. Je me contentais de les regarder "fourmiller" les touches, de les confondre avec les notes qui les habillaient de charme et de magie.
« Le temps s'efface
Pour moi, rien n'a changé
Deux bras m'enlacent
Parmi les champs de blé
Et moi, je rêve de toi, mon pays »
Subjugué, je me suis laissé emporter par la mélodie de ce mendiant juif qui était très connu à Oujda durant les années 50. Je suis resté médusé, émerveillé. Je papillonnais avec le son agréable de son accordéon et à flotter avec les paroles de sa chanson. Sa voix me faisait épouser le ciel dans les spirales dansantes des songes...
Une rumeur vraiment bizarre se répandait à Oujda. Quelques vieux marocains prétendaient que Félix l'accordeoniste, était en réalité, Nahman Ben David, un des meilleurs agents des services secrets israéliens.
Il était, parait-il, chargé d'endoctriner les Juifs marocains au sionisme et de semer la zizanie entre les Musulmans et ses frères de race afin que ces derniers quittent massivement la région de l'Oriental et réintègrent la Palestine.
Mais peut-on prêter foi aux rumeurs et aux imaginations incontrolées?... »
Pour moi, Félix, était un véritable artiste, un être qui ne faisait de mal ni à une mouche ni à une fourmi. De cela, je suis profondément convaincu..."
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Mémoire de la Fourmi.
Vol de la Fourmi.
La Déchirure.
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Le cri de l’agneau
Merguez et Harissa
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Un dimanche à Saïdia
Le mal de l’absence
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Abderrahmane Zenati
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